APPRENDRA ÀVOIR AVEC MES YEUX NEUFS (Réimpression avec la permission de ACAFS)

Par Erin Kasungu

http://www.reseaufemmesetleadership.ca/

Avec le recul, jamais je n’aurais pu m’imaginer où le sport me mènerait ni les leçons de vie qu’il m’apprendrait. Mes aventures postuniversitaires ont vu le jour au cours de ma dernière semaine à l’Université York, pendant que j’attendais à la porte du bureau d’un professeur, alors que je me demandais ce que je ferais de ma vie. Je savais que je voulais voyager et continuer à faire du sport, mais je ne savais pas que je pouvais jumeler mes deux passions, jusqu’à ce que je lève les yeux sur l’extérieur de la porte de bureau du professeur et que je vois ces mots : Aimez-vous voyager? Êtes-vous passionné de sport? Renseignez-vous sur le programme de stages de Jeux du Commonwealth Canada (JCC). C’est là que j’ai développé ma passion pour le développement par le sport.

En tant qu’athlète et entraîneure, je savais que le sport avait une influence marquée sur ma vie et la vie de mes athlètes. J’ignorais toutefois qu’il existait tout un secteur d’activités lié à l’utilisation intentionnelle du sport comme outil de développement. J’ai donc fait une demande d’admission au Groupe canadien de leadership dans le sport de JCC en 2002 où j’ai été acceptée au poste d’agente de développement de la jeunesse dans la très belle île de Grenade, dans les Caraïbes, pour une période de huit mois. J’ai travaillé à la New Life Organization (NEWLO), qui comprend trois centres de formation professionnelle à l’échelle de l’île. Les 250 élèves qui la fréquentent sont âgés de 14 à 24 ans et sont surtout issus de familles à faible revenu et/ou à problèmes (violence et toxicomanie). Ce centre d’éducation alternative a été créé dans le but d’aider les élèves qui ne réussissent pas dans le système scolaire ordinaire à cause du processus d’examen hautement sélectif qui prévaut dans le système scolaire sous-financé de la Grenade ou d’un comportement destructeur. Ce programme global permet d’abord aux élèves d’obtenir une formation académique de base, suivie de cours professionnels pratiques (tels que la maçonnerie, la plomberie, les techniques d’accueil, la cosmétologie, le travail de bureau, etc.). L’accent est également mis sur le développement personnel, spirituel et physique, et c’est à ce niveau que j’ai contribué. Ma tâche consistait à développer le volet physique dans le cadre de programmes d’éducation physique, de journées sportives et d’activités parascolaires (sports intramuros, tournois et équipes de compétition).

Les deux difficultés les plus importantes auxquelles j’ai eu à faire face ont été un espace exigu où l’équipement était rare et réussir à motiver les athlètes afin qu’ils s’intéressent à l’activité. Dans un de ces centres, le terrain le plus proche (et non entretenu) était situé à 15 bonnes minutes de marche et je perdais la plupart des élèves avant même d’y arriver. J’ai toutefois assisté à un changement important au cours de mon mandat de huit mois. Les membres du personnel ont uni leurs efforts afin d’amasser des ressources et des dons pour acheter de l’équipement. Plusieurs élèves ont acquis de la confiance et plusieurs autres étiquetés « jeunes délinquants » ont commencé à s’épanouir et à avoir une influence positive sur d’autres jeunes grâce aux responsabilités que leur conférait le sport. Les occasions pour les élèves de NEWLO d’affronter les écoles de courant dominant dans le cadre de compétitions sportives ont aidé à alléger le sentiment d’avoir été mis de côté et aussi le sentiment d’infériorité.

Ce stage m’a beaucoup appris sur la puissance du sport, sa capacité à éliminer les obstacles culturels, à changer le chemin que suit un adolescent au comportement destructeur et à créer un sentiment de communauté et de confiance au sein d’une population qui se sent marginalisée et incapable de faire face aux difficultés de sa situation. J’utilise le mot développement avec prudence, car je ne veux pas qu’il donne l’impression que les personnes avec lesquelles je travaillais pouvaient être inférieures. Les gens étaient pauvres et vivaient des situations difficiles, mais il y avait aussi de la joie et du partage entre des personnes qui avaient très peu de possessions à donner. J’ai appris que la pauvreté d’esprit nuit beaucoup plus à la communauté que la pauvreté économique.

Il n’y a pas que les élèves qui ont changé. Cette expérience m’a profondément affectée. Ce que j’ai vécu et les relations que j’ai établies pendant ces huit mois ont considérablement changé ma vie et ont fait de moi la personne que je suis devenue. Vivre et travailler dans un environnement difficile ont remis en question tout ce que je savais et m’ont aidée à voir la personne que je suis réellement. J’ai acquis énormément de maturité et je me suis retrouvée dans des situations que je n’aurais jamais vécues chez moi, par exemple, lorsque j’ai rencontré le président ou que j’ai communiqué directement avec des représentants du ministère de l’Éducation et des Sports de Grenade. J’ai aussi beaucoup appris sur le leadership. J’ai appris que le moyen le plus efficace de travailler dans une culture différente n’est pas de penser qu’on a réponse à tout, mais plutôt d’apprendre à écouter et de diriger en responsabilisant les autres afin qu’ils se dirigent eux-mêmes.

Aujourd’hui, neuf ans plus tard, ces leçons et ces perspectives continuent à influencer ma façon de vivre, d’aimer, de travailler et de jouer chez moi, au Canada. Je vais terminer sur ces mots : « Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à voir avec des yeux neufs. » Marcel Proust